Ce sont les plus vieilles sources qui peuvent apporter des informations sur l’histoire du village avant le Xème siècle.
Etude établie par Jean AUDY, Urbain GIBERT, Noel VAQUIE
Il est vraiment paradoxal qu’en 1961, en pleine campagne limouxine, à quelques centaines de mètres de deux villages (Loupia & Villelongue), à proximité d’importants domaines, des ruines qui nous estimons d’un intérêt archéologique certain, n’aient pas attiré l’attention. Ajoutons que ces ruines étant dans le voisinage immédiat d’une chapelle rustique qui voyait périodiquement de classiques et traditionnels pèlerinages, il est étonnant qu’elles n’aient été consignées, du moins à notre connaissance, dans les études des historiens locaux. Certes, M. BUZAIRIES avait écrit en 1852 « tout semble annoncer qu’à Gaure près de Pomas, à Salles et à Sainte Barbe près de Loupia, existaient autrefois des constructions dédiées à quelques divinités païennes. Mais c’est tout ! Aussi, pouvons nous dire que, jusqu’à ce jour, les ruines appelées « le monument » dans le pays étaient pour ainsi dire passées inaperçues.
Description
Cette construction, située dans un bois de pins sur une croupe séparant deux vignes, à proximité de la petite chapelle romane de Sainte Barbe, se présente sous l’aspect d’une tour haute de plus de 5 metres. Sur un soubassement de 3,5 metres de large et de 2 metres de haut s’élève avec un léger retrait de quelques centimètres, une façade harmonieuse de 2,40 m de haut surmontée, elle même, par les restes d’une voûte. Cette façade tourne vers le sud est avec un développement de 2 m et le nord ouest sur 0,75 m. Nous possédons donc à peu prés exactement la moitié de l’édifice, l’autre moitié ayant été détruite et exploitée peut être pour construire la chapelle romane voisine.
La grande façade nord est (la seule completement intacte) offre deux demi colonnes d’angle, en pierres arrondies et empilées, munies d’une base et d’un chapiteau et, bien au centre, une autre demi-colonne plus haute d’une trentaine de centimètres que les précédentes qui la partage en deux parties égales.
Entre ces colonnes, deux ouvertures carrées, agrémentent l’ensemble.
- Celle de droite présente une incrustation d’une rosace octogonale en pierre grises cantonnées de pierres rouges.
- Celle de gauche est dépouillée mais il ne fait aucun doute qu’elle supportait une décoration semblable et symétrique. La masse de la maçonnerie est constituée d’un blocage de moellons bétonnés avec du mortier à tuileaux, muni d’une petit appareil régulier en pierres locales.
- L’intérieur présente une disposition originale en forme de niches, la partie la plus large se trouvant en face de l’angle est. On peut calculer qu’à cet endroit la, l’épaisseur de la construction est de 1,25 m, c’est à dire extrêmement massive, alors que les autres murs offrent une épaisseur de blocage de 0,60 point.
Nous avons essayé de procéder à une reconstitution idéale de l’ensemble en nous appuyant sur nos mensurations et sur nos constatations sur le terrain et nous avons abouti à une construction carrée, très forte, offrant une niche extérieure en forme de triptyque voûtée en coupole : il nous a été naturellement impossible de déterminer l’emplacement exact d’une porte éventuelle mais nous verrons par la suite qu’elle pouvait être aménagée dans le soubassement sur la face nord ouest aujourd’hui disparue.
La simplicité logique du plan et la perfection de l’appareil extérieur laissent à penser à une haute époque, sans doute la seconde moitié de premier siècle ou le début immédiat du deuxième.
L’ornementation est extrêmement originale, inédite même en Gaule, semble-t-il. La reconstitution que nous avons pu en faire et qui ne reste hypothétique que pour la forme de la coupole et son couronnement, évoque irrésistiblement une influence de la Méditerranée orientale. Cette façade coupée de demi colonnes engagées, cette ornementation géométrique et polychrome, rappelle certaines dispositions nord-africaines ou syrienne de l’époque romaine et nous ne serions mieux comparer l’aspect du « Monument » qu’à certains éléments du tombeau de la Chrétienne à Cherchell.
La rosace étoilée est un thème purement oriental qui accompagne souvent les Vénus méditerranéennes. Le caractère asiatique de la déesse nue et les cercles ou les rouelles ornementées de pétales, protecteurs des morts en sont des caractéristiques constantes.
Pouvons-nous essayer de l’identifier ?
A première vue, on pourrait penser à un fanum rustique construit au milieu d’un lucus (bois sacré) mais cette hypothèse ne nous satisfait pas, cas si la niche intérieure pouvait être réservée à une statue de la divinité, aucun essai de reconstitution ne nous a permis de placer avec certitude une entrée accessible à ce présumé fanum.
Toute autre idendification apparaît de la construction si nous nous plaçons dans l’hypothèse d’un mausolée funéraire. Tous les monuments de ce genre que nous connaissons offrent de réelles ressemblances avec celui ci lorsqu’il ont été construits en pierres de taille, qui sont restées en place, on a pu constater qu’ils renfermaient généralement une chambre étroite voûtée, surmontée d’une pyramide ou d’une coupole pointue. Tantôt ces édifices offrent l’apparence d’une tour carrée, tantôt d’une superposition de parallélépipèdes en retrait les uns sur les autres, mais tous reposant sur un soubassement massif dans lequel était aménagé l’étroite porte d’accès à l’intérieur. Et c’est évidement par cette porte, par la partie faible de l’édifice qu’on a commencé le démantèlement de notre mausolée.
La tombe des Horaces et des Curiaces à Aricia, en Italie offre une grande niche intérieure arrondie et voûtée en cul de four, une banquette maçonnées fait le tour du demi-cercle et l’urne cinéraire était enterré au centre, la statue du défunt occupant le grand coté de la chambre sépulcrale.
Notre conclusion est donc formelle : nous nous trouvons en présence d’un Mausolée funéraire, d’une Pile, établie par le propriétaire Gallo-romain au milieu de son domaine et peut être dans un bois sacré car les vignes environnantes ont pu être défrichés à une époque récente et la parcelle boisée qui nous intéresse pouvait alors rejoindre les autres bois qui entourent notre lieu-dit.
Mausolée nettement identifiable et d’autant plus attachant qu’il offre, nous le rappelons, un style et une ornementation inédits à notre connaissance en Gaule et d’un intérêt archéologique incontestable.
Est-il enfin possible de l’attribuer ?
Peut être le nom du village voisin de Loupia nous aidera-t-il à penser que ce Mausolée est celui d’un Lupianus qui pouvait avoir constitué un domaine dans le limouxin et qui a tenu à construire chez lui un somptueux tombeau, en faisant sans doute appel à un architecte qui avait travaillé en Syrie ou en Afrique du Nord.
Grace à l’obligeance de M. ARRABET, du domaine de la Baraque, propriétaire des ruines, nous avons pu amener de nombreux visiteurs au « Monument ». Parmi ces derniers, M. GALLET de SANTERRE, a été vivement intéressé et ses conclusions rejoignent les nôtres.
M. Le Directeur de la Circonscription des Antiquités Historiques a établi un dossier de classement actuellement entre les mains de notre directeur, M. Roger HYVERT, délégué aux recensements des Monuments Anciens de la France.
Après une visite faite le 18 mars 1962 aux ruines et à la chapelle de Sainte Barbe, M. le Chanoine GIRY a eu l’amabilité de nous faire parvenir les renseignements ci-dessous qui lui ont été communiqués par M. LUGAGNE, membre résident de la Commission Archéologique de Narbonne.
M. LUGAGNE indique qu’ils sont extraits d’un manuscrit de 1848 de M. de FONDS-LAMOTTE : « sur une terre de nature assez compacte apparaît un bâtiment en pierres taillées, carré dont les côtés mesurent 3,45 m ou 12 pieds romains. Sa hauteur d’environ 5,80 m ou 20 pieds romains est divisé en deux parties. La partie inférieure voûtée de 2,1 m supporte une corniche. La partie supérieure est posée sur la corniche en soubassement à 3,50 m ou 12 pieds romains. Cette partie forme donc un cube ou une lanterne de 12 pieds romains de côté et de hauteur. Les angles sont occupés par des pilastres, jadis en arrête vive, aujourd’hui rongés et arrondis par le temps et chaque coté est divisé au milieu par un pilastre à chapiteau surmonté d’un fronton qui proscrit l’existence d’une toiture. Il parait qu’un des cotés privé de pilastre intermédiaire était ouvert et supporté d’un plein cintre. On y aboutissait par des degrés en pierre dont quelques fragments étaient naguère dispersés sur le sol. De plus, on a découvert dans le temps aux environs de ce petit monument des médailles romaines, des fragments de poteries antiques, un grand vase de terre cuite, un reste de mosaïque, des tombeaux en briques gallo-romaines et ce qui est plus remarquable, le torse d’une petite statue de femme en marbre blanc conservé par le propriétaire du domaine voisin. Tous ces objets révèlent l’existence d’un édifice sacrifié comme ailleurs au culte chrétien. Il est à regretter qu’aucune inscription n’ait pu compléter les indications signalées, mais la forme carrée de l’édifice, le manque de toiture, l’emploi de mesures romaines et la statue elle-même fixent la construction de ce temple à l’époque impériale romaine et l’attribuent , par une probabilité acceptable, à une divinité païenne que les premiers chrétiens renversèrent pour y honorer Sainte Barbe.
Nous remercions vivement l’érudit conservateur du musée d’Ensérune du complément qu’il a apporté à notre brève étude.
En juin 1962, M. G. BARRUOL du CNRS et M G. RANCOULE ont effectué des fouilles près du monument qui se sont avérées infructueuses.